Des mots pour survivre, surmonter, la souffrance et l’horreur,
mais aussi pour témoigner après……

Voici quelques poèmes écrits à Ravensbrück ou dans un des Kommandos de ce camp, accompagnés de dessins faits par Violette Le Coq *

Dépouillées de tout

Welcome…

Mon Dieu,
Je n’ai plus de vêtements sur moi,
je n’ai plus de chaussures,
je n’ai plus de sac, plus de portefeuille, de stylo,
je n’ai plus de nom. On m’a étiquetée 35282
Je n’ai plus de cheveux,
je n’ai plus de mouchoir,
je n’ai plus les photos de Maman et de mes neveux.
Je n’ai plus l’anthologie où chaque jour
dans ma cellule de Fresnes
j’apprenais une poésie.

Je n’ai plus rien.
Mon crâne, mon corps, mes mains sont nues.

Deux heures après…

35282, Catherine Roux
née le 2 mars 1918
déportée le 18 avril 1944 à Ravensbrück,
libérée le 5 mai 1945.

…….et d’elles mêmes

Le plus triste de tout c’est que l’on s’habitue
A cette existence de chien,
La voix du désespoir après des mois s’est tue,
Même il est des instants où l’on se sent très bien.
Et l’on jouit du bonheur d’avaler une soupe
De la volupté d’avoir chaud,
Lorsque dans le washraum un quart d’heure on se groupe
Pour sécher quelques oripaux.
Qu’on soit musicien, qu’on soit peintre ou poète,
Sur le boueux chemin du sort,
On se fait doucement à vivre comme bête
L’ange qui nous menait s’engourdit dans la mort.
On finit par trouver simples et naturelles
Toutes les tortures du camp,
Même on ne gémit plus de rester sans nouvelles,
Des êtres si lointains et que l’on aimait tant.
Les aime t on encore ? Oui sans doute on les aime,
Mais comme on ne sait plus rien d’eux,
Ils semblent irréels, et l’on ne sait plus même
Rêver d’un retour bienheureux.

Gastronomie…

Cependant quelque fois, tout à coup, l’on frissonne.
Un souvenir brusque est passé,
On revoit un regard, ou c’est un mot qui sonne,
Par une voix chérie autrefois prononcé.
Oui, l’on frissonne alors et l’on cherche un coin d’ombre
Pour y sangloter comme avant,
Car l’ange qui dormait rouvre ses ailes sombres
Et râle au fond de nous qu’il est encore vivant.

La loi du plus fort…

 22410, Micheline Maurel
née le 17 juillet 1916
membre du réseau « Marco Polo », arrêtée le 19 juin 1943,
déportée le 29 août 1943 à Ravensbrück,
puis au Kommando de Neubrandebourg
rapatriée le 22 mai 1945.

Survivre dans le Pays de la Mort

A l’appel

L’aube…

Le ciel est noir, la terre est noire,
Dur est le gel, lourd est le cœur.
Tristes victimes expiatoires
Nourries de haine et de rancœurs
Nous attendons. L’aube blafarde
Sans cesse creuse nos rangs.
Nul sang ne ranime et ne farde
Ces visages de chiens errants.
Reverrons nous ces jours qu’en rêve
Nuit et jour nous imaginons ?
Visages aimés, heures brèves,
Un feu, un pain, une maison…
Se souvient on encore d’elles,
Celles qui paient argent comptant
Pour que la vie soit libre et belle
Et que la France ait un printemps ?
Et si nous revenons un jour
Comme un troupeau de spectres hâves,
Affamées de joie et d’amour,
Serons nous les tristes épaves
Qu’on enfouit sous un sable lourd ?

37872, Denyse Clairouin
née le 27 août 1900
membre de l’Armée Secrète , arrêtée en 1943,
déportée le 6 avril 1944 à Ravensbrück,
puis transférée en mars 1945 à Mauthausen où elle décédait peu après, le 7 mars 1945, elle avait 44 ans .

Au froid, à la faim, aux coups

Il faudra que je me souvienne
Plus tard, de ces horribles temps,
Froidement, gravement, sans haine,
Mais avec franchise pourtant.
De ce triste et laid paysage
Du vol incessant des corbeaux,
Des longs blocks sur ce marécage,
Froids et noirs comme des tombeaux.
De ces femmes emmitouflées
De vieux papiers et de chiffons
De ces pauvres jambes gelées
Qui dansent dans l’appel trop long.

Des batailles à coups de louches,
A coups de seau, à coups de poing,
De la crispation des bouches
Quand la soupe n’arrive point.
De ces « coupables » que l’on plonge
Dans l’eau vaseuse des baquets,
De ces membres jaunis que rongent
De larges ulcères plaqués.
De cette toux, à perdre haleine,
De ce regard désespéré
Tourné vers la terre lointaine,
Mon Dieu, faites nous rentrer.
Il faudra que je me souvienne…

22410, Micheline Maurel.

Au désespoir

Ce furent des enfants, des filles, des femmes…

Sur les allées de mâchefer crissant,
Éclairés par la lune en croissant,
Les fantômes de nos mortes se faufilent
En une longue interminable file.
Elles nous racontent le repos éternel
De leurs pauvres corps décharnés
Débarrassés de l’enveloppe charnelle
Dans laquelle elles ont trépassé.
L’une d’elles m’a dit en confidence
La paix qu’elle ressentait maintenant :
« Je vais libre, je viens et je danse,
Je ris et je chante éternellement.
Viens vite nous retrouver, ma Mie.
Si tu savais notre bonheur !
Laisse toi mourir, donne nous ta vie,
Nous chanterons en ton honneur !
Tu es des nôtres, notre coeur,
Et avec toi j’ai enduré les coups.
Mourir n’est plus un grand malheur
Quand à chaque pas hurlent les loups ! »
Non ! Attendez ! Je ne puis venir encore !
J’ai vingt ans, je veux vivre,
Ne serait ce que pour l’aurore
D’un jour nouveau ! Et y survivre !

42167, Jacqueline Brun
née le 16 mai 1923
déportée le 30 mai 1944 à Ravensbrück,
puis à Bergen Belsen
libérée le 15 avril 1945.

Retour et impossible oubli

Et nous sommes rentrés dans l’or des soirs étales.
Les arbres en bouquets semblaient nous accueillir.
La maison était fraîche et blanche d’astragales,
Et tout était conforme à notre souvenir.

Les lèvres sur nos fronts s’attardaient.
Le regard semblait interroger nos squelettes transis.
Certains se retournaient sur nous, comme saisis,
Car nous étions des morts revenus par hasard.
Nos corps étaient de marbre et nous n’entendions pas,
Dans notre isolement, la rumeur de la fête ?
Tout nous semblait soudain si puéril et si bête
Que nous aurions voulu revenir sur nos pas.
Mais la vie a repris, nous laissant à nos ombres.
Et nous cherchons encore, à demi réveillés,
Nos amis cheminant en longs troupeaux rayés
Sous la rouge lueur embrasant les nuits sombres.

31965, Violette Maurice
née le 23 février 1911
membre du réseau « Mithridate », arrêtée en 1943,
déportée le 2 mars 1944 à Ravensbrück,
puis à Mauthausen  libérée par la Croix Rouge le 22 avril 1945.

Crématoire…

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs

quand c’est d’un ailleurs
aux autres inimaginable
c’est difficile de revenir

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs
quand c’est d’un ailleurs
qui n’est nulle part
c’est difficile de revenir
tout est devenu étranger
dans la maison
pendant qu’on était dans l’ailleurs

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs
quand c’est d’un ailleurs
où l’on a parlé avec la mort
c’est difficile de revenir
et de reparler aux vivants.

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs
quand on revient de là bas
et qu’il faut réapprendre
c’est difficile de revenir
quand on a regardé la mort
à prunelle nue
c’est difficile de réapprendre
à regarder les vivants
aux prunelles opaques.

31661, Charlotte Delbo
née le 10 août 1913
militante communiste, membre du groupe « Politzer »,
arrêtée le 2 mars 1942,
déportée le 24 janvier 1943 à Auschwitz,
transférée à Ravensbrück le 3 août 1944
libérée par la Croix Rouge le 23 avril 1945.

 

*Les dessins faits par Violette Lecoq, née le 14 août 1912, à Ravensbrück camp où elle était déportée le 28 octobre 1943, immatriculée 24571, et d’où elle était libérée le 23 avril 1944 par la Croix Rouge suédoise, comme Charlotte Delbo, Germaine Tillion, ont été publiés en 1948 par les éditions « Les deux sirènes »
Avant d’être déportée, Violette Lecoq, qui était infirmière, n’avait suivi aucune formation artistique, mais pratiquait le dessin, en « amateur ». Voici des extraits de l’interview qu’elle accordait à l’histoirienne Diane Afoumado, le 28 janvier 1991, pour expliquer comment et pourquoi, déportée NN, ayant travaillé au Betrieb, puis dans l’infirmerie du camp, au block 10, elle a dessiné à Ravensbrück.
« J’avais toujours un peu dessiné auparavant et, là bas, outre le travail, il y avait quand même un moyen d’évasion, et on essayait de s’évader de tout. Et alors moi,…., j’ai commencé à dessiner…… On s’étonne parfois que l’on ait pu le faire, mais pour le papier, il y avait des papiers d’emballage,… j’ai fait [ aussi ] des dessins sur du papier de radio , parce qu’il y avait une espèce d’horrible comédie comme s’il y avait vraiment un hôpital. J’ai donc dessiné avec de bouts de craie sur du papier noir de radio. Il y avait quand même forcément des papiers, des crayons, puisque par exemple, quand on reprend mes dessins, on voit que l’on avait toutes un numéro sur le dos. C’était des crayons à encre. [Si je dessinais ..] c’était [ aussi] pour ramener quelque chose, parce que moi, j’étais persuadée que je reviendrai. J’ai pensé qu’il fallait le faire parce que c’était un moyen de marquer et de se rappeler, parce que quand on dessine quelque chose pour après, pour l’après, les gens comprennent mieux quand ils voient un dessin que quand ils lisent quelque chose. Surtout les horreurs que nous avons vues, comme la maigreur par exemple, je crois qu’un dessin était plus parlant que quand l’on disait que l’on n’avait plus que la peau sur les os. C’était l’évasion d’une part, et pour montrer après. La preuve après…..je n’ai dessiné que les horreurs des camps

Les poèmes ont été publiés dans la «Résistance et ses poètes » Editions Seghers 1974, ou dans «Paroles de déportés », livre publié par la FNDIRP Editions de l’Atelier 2001.

Ces poèmes, ces dessins, comme épitaphe pour

Ces femmes nées, ou arrêtées pour faits de résistance,

dans le Morbihan,  qui n’ont pas vu la chute du nazisme

ni la libération de la patrie.

Pour qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli,

elles qui n’ont plus que leur nom pour tombe

 Louise Andreu Angulana , née le 8 juin 1892 à La‑Trinité‑Porhoët, déportée vers les prisons du Reich le 22 janvier 1944, décédée à Ravensbrück le 20 mars 1945, elle allait avoir 53 ans. Matricule 44610, Anne‑Marie Boivin, née le 24 octobre 1887 à Comblessac (35), arrêtée à Guer le 30 octobre 1943, déportée à Ravensbrück le 20 mars 1944, décédée dans ce camp le 10 février 1945, elle avait 57 ans. Marguerite Chabauty, née le 9 mai 1873 à Pontivy, déportée vers les prisons du Reich le 8 janvier 1943, décédée le 6 mars 1945 à Ravensbrück, elle allait  avoir 72 ans. 31796, Marguerite Boucher épouse Chavaroc, née le 9 octobre 1894 à Hennebont, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, décédée dans ce camp le 14 mars 1943, elle avait 48 ans. 62853, Marie Chevillard, épouse Méance, née le 18 mai 1898 à Néant-sur-Yvel, déportée à Ravensbrück le 3 août 1944,  décédée dans ce camp le 12 mars 1945, elle allait avoir 47 ans. 38059, Anne‑Marie Cormerais, née le 1 mars 1922 à Vannes, déportée à Ravensbrück le 30 mars 1944,   décédée dans ce camp le 4 mars 1945, elle avait 23 ans. 9855, Katharine Corret, née le 12 février 1902 à Lorient, déportée à Auschwitz le 15 janvier 1944, décédée dans ce camp le 12 mars 1944, elle avait 42 ans. 39…, Germaine Desbois, née le 12 février 1905 à Ménéac, déportée le 13 mai 1944 à Ravensbrück, disparue, elle avait 41 ans, lors de son entrée dans ce camp. 38769, Claire Doré‑Graslin épouse Audibert, née le 1er août 1880 à Nantes (44), arrêtée à Malestroit le 17 mars 1944, déportée à Ravensbück le 13 mai 1944,  décédée dans ce camp le 18 mai 1944, elle avait 63 ans. 31964, Marie François, épouse Mauge, née le 17 juin 1891 à Guer, déportée à Ravensbrück le 2 mars 1944, décédée à Bergen-Belsen le 17 mars 1945, elle avait 53 ans. 62826, Jeanne Genot, née le 6 août 1886 à Lorient, déportée Ravensbück le 3 août 1944, gazée dans ce camp le 28 février 1945, elle avait 58 ans.62907, Hélène Granger épouse Le Guennec, née le 18 août 1897 au Palais, déportée à Ravensbrück le 3 août 1944, décédée dans ce camp le 28 février 1945, elle avait 47 ans. 57…, Anna Goaziou, épouse Le Moal, née le 11 février 1898 à Saint‑Barthélemy, déportée à Ravensbruck le 15 août 1944, décédée dans ce camp le 6 mars 1945, elle avait 47 ans. Amandine Kerhervé épouse Texier, née le 15 février 1906 à Saint-Nolff, déportée vers les prisons du Reich le 18 mars 1943, décédée à Mauthausen le 17 avril 1945, elle avait 39 ans. 79989, Marie Le Bénédic épouse Lorgeoux, née le 16 février 1906 à Questembert, déportée vers les prisons du Reich courant   1944, décédée à Bergen‑Belsen le 23 avril 1945, elle avait 39 ans. 31828, Louise Le Du épouse Loquet, née le 30 avril 1900 à Plouray, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, décédée dans ce camp le 10 avril 1943, elle allait avoir 43 ans. 31799, Yvonne Le Maguer épouse Courtillat, née le 3 mai 1911 à Languidic, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, décédée dans ce camp le 20 avril 1943, elle allait avoir 32 ans. 57742, Yvonne Le Marec épouse Robert du Costal, née le 18 mars 1899 à Lorient, déportée à Ravensbrück le 15 août 1944, décédée à Rechlin le 3 mars 1945, elle allait avoir 46 ans. 31…, Elisabeth Le Port, née le 9 avril 1919 à Lorient, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, décédée dans ce camp le 14 mars 1943, elle avait 23 ans. Marie Matel épouse Guichard, née le 18 septembre 1891 à Bangor, déportée vers les prisons du Reich courant 1943, décédée à Mauthausen le 14 mars 1945, elle avait 53 ans. 31825, Marie-Louise Moru, née le 25 juillet 1925 à Port-Louis, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943, décédée dans ce camp en mars 1943, elle avait 21 ans. Agnès de Nanteuil de la Barre, née le 17 septembre 1922 à Neuilly-sur-Seine, entrée dans la Résistance à Vannes, déportée à partir de Rennes le 3 août 1944, décédée lors du transport vers l’Allemagne, à Paray Le Monial, le 13 août 1944, elle allait avoir 22 ans. Annick Pizigot, née le 16 septembre 1924 à Locminé, déportée vers les prisons du Reich le 2 août 1944, libérée à Mauthausen le 24 avril 1944, décédée dans un hôpital en Suisse le 26 novembre 1945, elle avait 21 ans. 31972, Philomène Puren, née le 9 janvier 1894 à Baud, déportée à Ravensbrück le 2 mars 1944, disparue, elle avait 50 ans. Anne Ronsin, née le 24 août 1898 à Vannes, déportée vers les prisons du Reich le 28 mai 1942, puis internée à Ravensbrück le 21 novembre 1944, disparue dans ce camp, elle avait 46 ans.

 

Résistances

-Morbihan